"Bonsoir et bienvenue à l'apéro de la mort", introduit Sophie Poupard-Bonnet, coach en accompagnement du deuil. Une entrée en matière qui peut désarçonner, surtout dans un cadre aussi banal. Autour d'une grande table du Delaville Café, un bar du Xe arrondissement de Paris, une quinzaine d'inconnus s'installent petit à petit pour partager un moment hors du commun. En effet, depuis 5 ans, Sarah Dumont, fondatrice du site HappyEnd et Sophie Poupard-Bonnet, proposent des apéros gratuits, ouverts à tous, dans 21 villes et à distance, environ tous les 2 mois, pour parler de la mort. Sujet tabou s'il en est.

D'ailleurs, à peine assis, Pétrus, petite moustache et chapeau lâche: "pourquoi ce mot de mort, moi il me heurte?". Cet élégant senior a perdu sa femme il y a cinq mois. Sarah Dumont prend la balle au bond: c'est son cheval de bataille "la mort, on ne mourra pas d'en parler", un résumé affiché sur son site, qu'elle a monté pour accompagner les personnes en deuil et les aider à organiser les funérailles qu'elles souhaitent. Ce qu'elle a eu la chance de faire quand son père est décédé. "Justement, je pense qu'il faut lever le déni sur ce mot et faire en sorte de parler de la mort plus simplement." D'où son idée d'organiser des apéros de la mort, sur le modèle du Café mortel imaginé par l'anthropologue suisse Bernard Crettaz.

Un "cocon pour parler de la mort librement"

Autour de la table, verre de rosé, Perrier, bières et citronnades, planche de charcuterie sont commandés avant de se lancer dans un tour de table de confessions intimes. "On ferme la porte?", suggère Sarah avant que chacun se présente et explique la raison de sa présence dans "ce cocon pour parler de la mort librement" selon les mots de Sophie, qui mène les échanges avec beaucoup de douceur.

Il y a des habitués parmi les convives, tous soulagés de pouvoir déposer un peu de leur peine auprès d'étrangers quand leurs proches se sont lassés ou ne sont pas en état de l'entendre. Notamment Martine, qui vient pour la quatrième fois. "Personne ne veut parler de la mort et je ressors de ces apéros avec une énergie extraordinaire. Ici, on parle vrai", souffle-t-elle. Sa voisine, une Anglaise, est également une adepte. "Je constate que ça m'aide à avancer, je ne subis plus le deuil, je le vis", assure Caroline. François* a perdu son frère jumeau, qui s'est suicidé à 50 ans. Il nous a apporté une photo, celle du faire-part de décès, la seule qu'il arrive à regarder pour le moment. Sandrine, mère dynamique, a, elle, perdu son mari il y a quelques années. "À la maison, avec mes trois enfants, on a toujours dit que la mort faisait partie de la vie", prévient-elle.

Sa douleur, en revanche, c'est de ne pas avoir pu choisir l'enterrement de son époux. Regret que partage Florine, jeune femme venue évoquer le souvenir, chose rare, d'un ami très proche, parti il y a 6 ans. "Ses parents étaient anéantis, alors c'est nous, ses amis, qui avons organisé ses obsèques… religieuses, alors que lui ne l'était pas et cela a créé une dissonance." Deux sœurs, Cécile et Lucie, sont venues ensemble pour ce moment de confidence, avouant que dans leur famille, qui a enterré deux membres en une semaine, la "culture du silence" interdit toute question ou évocation.

Peur de la pitié ou de gâcher l'ambiance

Arrivée en retard, Justine, une jeune blonde, a la voix qui tremble et les yeux qui s'embuent quand elle évoque sa mère morte il y a 7 ans. "On a le droit de pleurer ici!", rassure en riant Sophie. Beaucoup avouent la difficulté d'évoquer leurs disparus, par peur de la pitié, d'être catalogué comme celui ou celle "en deuil" au point de perdre son identité ou pour éviter de gâcher l'ambiance d'un dîner sympa. Mais ce type de rencontres atypiques prouve combien parler de la mort n'a rien de morbide. D'ailleurs les rires résonnent, les conseils entre pairs aussi dans cette assemblée disparate et intergénérationnelle. "Tu connais l'association Apprivoiser l'absence pour les frères et sœurs?", demande François à sa voisine. "Moi je porte le parfum de mon papa, raconte Maïa. Au début je me disais c'est bizarre, en plus, c'est un parfum d'homme." Une façon comme une autre d'avoir toujours un peu de lui avec elle. "Moi je me fais un shoot du parfum de mon frère le matin, mais je ne peux pas le porter, ce n'est pas à 50 ans que je vais refusionner avec mon frère jumeau!", ironise François.

Questions existentielles et conseils partagés

Doit-on avouer à sa femme, à son père mourant qu'il ne lui reste que peu de temps? Lui demander ce qu'il souhaite pour ses obsèques au risque de le décourager? Ce débat extrêmement intime et difficile est abordé avec beaucoup d'empathie. "Il peut y avoir des questions plus subtiles comme "comment tu te sens?", suggère Sophie, la coach. Pour ouvrir un espace qui lui permettrait de dire "je sais que je vais partir"."

La question de la croyance aussi s'invite quand Justine dévoile qu'après le décès de sa mère, elle avait l'impression que cette dernière veillait sur elle, lui portait bonheur. "Mais je ne crois plus en la vie après la mort et c'est terrible de se dire qu'elle est nulle part!". "Il faut se dire qu'elle est partout!", soumet Pétrus, sourire aux lèvres. Chacun dévoile ces petits riens du quotidien, faire la cuisine, écouter une chanson, qui rappellent ces disparus. "Mon frère chantait tout le temps, alors on écoute sa musique avec mes filles, ça fait de la peine… mais ça fait aussi du bien", partage François. "Moi j'ai une playlist Spotify qui s'appelle Papa", souffle Maïa. Une idée qui séduit ses voisins.

En échangeant ainsi à bâton rompu sur les problèmes spécifiques de chacun et des questions existentielles communes, beaucoup trouvent du réconfort, se sentant moins seuls avec leur peine… et leur besoin de parler de la mort. D'ailleurs, le concept de ces apéros originaux a trouvé plusieurs déclinaisons avec des "orphelinades", dédiées aux jeunes adultes qui ont perdu un ou deux parents, des "petites veuvries entre amies" pour les veuves et à partir de ce mois de novembre des "cafés compagnons" pour celles et ceux qui pleurent leur animal de compagnie. "On a tous la certitude qu'on va mourir, conclut Lucie. C'est assez chouette de voir que c'est un sujet qu'on peut aborder en mangeant et en rigolant!"

*Le prénom a été changé

-.-.-.-

Il y a tant de chagrin quand nous perdons un être cher!

Ce n'est pas toujours facile d'en parler autour de soi,

peur d'ennuyer,

de lasser,

peur de faire de la peine etc...

mais comme cela fait du bien d'en parler

à des oreilles "disponibles"*!

N'hésitez pas à le faire!

Bon jeudi!

Il  y a des associations d'écoute, anonymes même...